Corsaire durant la guerre de sept ans.
En août 1756 la guerre de Sept ans débute. Il n’est plus question de pêcher au loin car cela est bien trop dangereux. Alors la plupart des marins, s’ils ne sont pas réquisitionnés dans la marine du roi, s’engageront sur les navires corsaires de la côte, côté français ou parfois guipuzcoan.
Pierre Naguille, qui a déjà été officier sur ce type de bateau dès 1745 (guerre de succession d’Autriche), devient en octobre 1757 capitaine d’un des plus gros navires corsaires de Saint Jean de Luz/Ciboure : Le Labourt (parfois écrit Labourd).
Ce navire est une frégate de 300 tonneaux construite à Saint Jean de Luz par Pierre Dechevers maître constructeur de navires, originaire d’Ascain.
Ascain comptait à cette époque là beaucoup de charpentiers et de constructeurs de navire et possédait même un ou des chantiers de construction. Les navires étaient ensuite acheminés à la mer en descendant la Nivelle.La proximité de forêts rendait aisé l’approvisionnement en bois de construction.
D’après les comptes de construction de la frégate le Labourd, il en a coûté 166647£ au Sieur Pierre Douat, son armateur, pour construire le bateau, l’armer de 18 canons (ceux fabriqués à Baigorri n’étant pas prêts à temps, il faudra se fournir à Saint Sébastien), engager l’équipage (78 livres seront dépensées pour « boire à différentes fois » lors de l’engagement des marins) , acheter le « coffre à médicaments et les instruments du chirurgien au sieur Gelos » et acheter la nourriture et la boisson pour la campagne (environ 15000 livres pour ce seul poste ).1
On peut estimer que le navire a une longueur approximative de trente mètres.
En Janvier 1760, Baptiste est engagé comme contre maître (le second des sous officiers) sur le Labourt. Il est probable qu’auparavant, entre 1755 et 1760, il a embarqué sur d’autres navires, peut être au départ d’autres ports que ceux du Pays Basque.
C’est la troisième campagne du Labourt et pour cela Pierre Naguille a obtenu le congé N°244 auprès du Duc de Penthièvre , Amiral de France.
Le rôle d’équipage fait la liste de tout le personnel, environ 200 personnes, en indiquant les grades, matricules, traits physiques (taille et couleur du poil) et les avances sur solde dépendantes du grade.
Lors de cette campagne six navires furent pris et deux autres rançonnés. Les prises étaient ramenées, si possible au port d’attache, mais si les conditions ne s’y prêtaient pas, elles étaient ramenées à un autre port, parfois espagnol. La manière de procéder était très réglementée (inventaire de la prise avec son capitaine, la prise passait sous commandement d’un officier lieutenant/chef de prise qui la ramenait avec quelques matelots du bateau d’origine et quelques matelots transbordés du corsaire, reconnaissance de la validité de la prise par le Tribunal des Prises, partage des gains entre l’Etat, l’armateur et l’équipage…)
Baptiste Dibiry lors de cette campagne, sera « embarqué sur une prise …relâche en Espagne » et sur laquelle il aura été maître d’équipage. Il s’agissait probablement de la prise « Le Cary » bateau de 300 tonneaux, faisant le voyage entre la Virginie et Londres et chargé de tabac, prise qui fut ramenée en Galice. Vu la taille de la prise elle dut rapporter une belle somme par la vente de la cargaison et du bateau lui même.
En septembre 1760, Baptiste embarquera de nouveau sur le Labourt pour une seconde campagne en tant que contre maître, campagne tout aussi fructueuse : de nouveau six prises. Il reviendra sur une prise faite le 22 décembre 1760, probablement « Le Triton » bateau de 300 tonneaux chargé de tabacs et de fer qui allait aussi de Virginie à Londres. Cette prise sera ramenée au port du Passage (Pasajes en Espagne, port extrêmement bien protégé en cas de tempête) puis à Socoa.
Le bateau sera vendu, hors cargaison, pour 28000 livres à Pierre Lissardy de Bayonne et deviendra « Le Triton » de Bayonne.
Lors de cette campagne, sur près de 200 membres d’équipage à l’embarquement, près de la moitié d’entre eux revint sur les prises, preuve de l’importance de ces captures.
A noter que pour ces deux campagnes Pierre Naguille fera préciser par acte notarié que certains hommes ont figuré comme lieutenant sur le rôle d’équipage uniquement « pour éviter la prison en cas de prise par les anglais » car les officiers bénéficiaient de traitement de faveur en cas de capture. Leur part des prises ne devaient donc pas être celle attribuée à un « vrai » lieutenant.2 (acte 1 et acte 2)
En mars 1761, troisième embarquement sur le Labourt avec le même grade. Le Labourt a toujours le même capitaine, Pierre Naguille et le même armateur, Pierre Douat. On retrouve de nombreux officiers majors et officiers mariniers qui ont participé aux précédentes campagnes (on dirait aujourd’hui, on ne change pas une équipe qui gagne…). Y figure pour la deuxième fois un officier jeune et brillant, Jean Dalbarade d’Hendaye âgé d’à peine 17 ans.
L’équipage est ainsi constitué :
- 30 officiers majors : capitaine, lieutenants, enseignes Maîtres écrivain canonnier, charpentier. c’est parmi ces hommes que sont choisis ceux qui commanderont les navires pris pour les ramener au port.
- 64 officiers mariniers (c’est à dire sous officiers) : seconds et troisièmes maîtres, chefs de prise, bossemen, autres charpentiers et canonniers, maître calfat (chargé de calfater entre les bois posés par les charpentiers pour étanchéifier la coque du navire).
- 6 officiers non mariniers : deux autres chirurgiens, deux dépensiers,un cuisinier ..
- 30 matelots, 22 novices et 19 mousses (12 à 18 ans).
- 13 volontaires (maître d’armes, sergents) qui ne connaissent pas la mer mais sont les « combattants »
- 20 étrangers officiers mariniers ; la plupart sont des basques du Guipuzcoa ou de Navarre.
-10 hommes de tout rang qui rejoignent l’équipage au dernier moment.
Le plus souvent les prises se faisaient après un simple tir de semonce. Que pouvait faire un navire de commerce ou de pêche face à un navire de 300 tonneaux équipé pour la guerre et armé de 18 canons ?
Mais cette campagne a été un peu plus agitée puisque, lors de la prise simultanée des deux navires anglais Le Betsey de Londres (16 canons) et le Frère Galley de Londres (10 canons), la résistance fut un peu plus farouche et il y eu même abordage du premier navire.
Quatre hommes du Labourt seront blessés par un boulet. Parmi eux Jean Dalbarade blessé à la tête et Pierre Naguille blessé « très dangereusement dans le côté par une mitraille ». P. Naguille fit un certificat à Jean Dalbarade le 20 juin 1761 pour attester de sa vaillance. De son côté le navire anglais qui a résisté aura des hommes tués.
Chacun des navire anglais faisait 200 tonneaux et transportait « sucre, caffé , cacao , coton et canéfice3 ainsy que des fruits de l’amérique » en provenance de Guadeloupe et à destination de Londres. Tous deux seront ramenés au port du Ferrol en Galice et il appartiendra au « consul de la nation française à La Corogne de tenir la main à l’exécution du jugement (de prise)».
Jean Dalbarade continuera sa carrière sur mer en tant que corsaire ou marin du Roi et deviendra Ministre de la Marine sous la Convention (1793-1795).
Pierre Naguille ne naviguera plus pendant quelque temps. Le capitaine du Labourt lors des campagnes suivantes sera Pierre Moleres qui fera 6 prises et deux rançons lors des deux campagnes suivantes. Le Labourt sera finalement pris le 4 novembre 1762 par les Anglais.
Lors des trois campagnes auxquelles a participé Baptiste, le Labourt a totalisé 13 navires pris et 3 rançonnés. Cela sera un gain approximatif de 1, 5 millions de livres. (AN Marine B4 95).
Il avait été institué par Colbert la règle des « six deniers pour livre » afin d’alimenter la caisse des Invalides. Cela voulait dire que pour chaque Livre de bénéfice net d’un corsaire, l’état prenait 6 deniers pour cette caisse soit 2,5% 4 , une sorte de CSG avant la mode… Et dans les fonds de la Marine aux Archives Nationales il y a trace de ces versements. Ainsi les deux premières campagnes de Baptiste rapporteront à la caisse des invalides respectivement 14868 et 10123 £. (AN Marine B 4 97).
L’ensemble des gains pour toutes les campagnes effectuées par Le Labourt entre octobre 1757 et novembre 1762, date de sa prise par les anglais, sera d’environ 3 millions de livres, les plus gros gains pour un corsaire basque durant cette guerre.
Notes :
1 : reproduction du « Compte de construction du Labourt » trouvé dans le livre de F Jaupart , histoire maritime de St Jean de Luz Ciboure aux XVIIe et XVIIIe siècles. Edité par CCI Bayonne 1981. J'ai finalement retrouvé trace de l'original à la Bibliothèque de Bayonne, dans le fonds Poupel, accessible en ligne , ici.
2 : Me Detcherry notaire à Saint Jean de Luz le 23 01 et le 30 09 1760 (AD64)
3 : canéfice = casse , sorte de cannelle
4: 1 livre = 20 sous = 240 deniers ; 6 deniers / 1 livre = 6 / 240 = 2,5 %