Jean Duhulquo, chirurgien, corsaire ... et forban.
St Germain en Laye le 20 janvier 1674
Vu par le Roy étant en son conseil
le procès verbal fait par le lieutenant de l’Amirauté de La
Rochelle du __ novembre 1673. Sur le rapport d’horry
pilote de saintonge, d’hulgo chirurgien de St Jean de Luz, de Jean
Baptiste matelot (……………) que les dits horry
et de hulgo se sont embarqués au mois de janvier 1673 à la Rochelle
dans un navire nommé la Chaudière à Sel pour aller aux Isles
de l’Amérique, qu’au mois de juillet le dit navire allant de l’Isle de
St Christophe à la basse terre de cette Isle, il fut pris par
une frégate hollandaise qui mena le dit navire à Corossol où les dits
horry et de hulgo furent mis à terre, où ayant séjourné quelques
jours, le gouverneur de ce lieu fit donner passage dans un
vaisseau hollandais nommé l’Amitié (……......)
et étant au havre de la Bermude la nuit du 23 au 24 sepbre
(…………) ils résolurent de se rendre maistres du dit navire l’Amitié
(…………) ils tuèrent à coup de hache le maistre avec trois matelots
(…………) sa Majesté a déclaré
et déclare le dit navire l’Amitié et marchandises de son chargement
de bonne prise
C’est dans cet arrêt du conseil d’état rendu en présence du roi Louis XIV que débute l’histoire assez extraordinaire de Jean Duhulquo souvent mentionné comme Jean de Hulgo ou écriture avoisinante.
Tous les détails de son aventure aux îles de l’Amérique se trouvent dans un épais dossier déniché après plusieurs années de recherche dans les documents de l’Amirauté de La Rochelle conservés aux Archives de la Charente maritime. C’est un dossier de plus de 100 pages qui relate en détails tous les actes de son procès tenu à La Rochelle. En voici l’essentiel, complété par des documents issus de l’Amirauté de Guyenne (Archives de la Gironde).
Au début 1673 Jean Duhulquo embarque à 22 ans en tant que chirurgien sur « la Chaudière à sel » navire de 190 tonneaux chargé de diverses marchandises pour les Iles de l’Amérique. L’armateur est Estienne Dharriet important négociant protestant de Bordeaux, de toute évidence d’origine basque. Il a pu s’embarquer au départ de Bordeaux le 26 janvier
« David dupuy maistre de la chaudière à sel de bourdx
du port de cent nonante thonneaux chargé de diverses
marchandises par le sieur dariette pour les Isles de
l'lamérique. »
(AD 33, 6B 287, image 33)
ou bien peut être lors du chargement final du navire a La Rochelle autour du 16 février 1673 selon la police d’assurance (Archives Nationales Z1D78).
A noter que la police est souscrite à 18% car la France et les Provinces Unies sont en guerre, guerre de Hollande ; la course est donc autorisée, le taux de la police reflète les risques encourus.
Arrivé aux îles, vers juillet 1673 , le navire sera pris par une frégate hollandaise de Flessingues. Les hommes de l’équipage sont débarqués et chacun doit essayer de rentrer en France.
Jean embarque comme passager avec Gilles Horry, pilote de La Chaudière à Sel, et un autre compagnon sur un navire hollandais, le vaisseau « l’Amitié » venant de Corossol, pour faire la traversée de retour vers Amsterdam.
Au cours de la traversée, suite à des mauvais traitements, Jean Duhulquo avec ses deux « amis » s’emparent du vaisseau, tuent le capitaine et quelques matelots, laissent les autres matelots d’origine sur un radeau avec vivres et hardes au large des Bermudes, et rentrent à La Rochelle en octobre 1673.
Gilles Horry qui a besoin de payer des dettes à E. Dhariette lui cédera ses droits dans la prise de l’Amitié dès son retour a Bordeaux en décembre 1673.
L’Amitié sera considérée comme « de bonne prise » par les autorités françaises en janvier 1674 , et les preneurs peuvent donc le vendre ainsi que ses marchandises.
Les affaires se compliquent à partir de ce moment-là, car il semble qu’il y ait eu malversations : de l’argent aurait disparu et la vente des marchandises, essentiellement des bois exotiques, aurait donné lieu à des dessous de table entre Jean Duhulquo et trois négociants importants de la Rochelle, Louis Caillaud, Elie Chaboisseau et Antoine Allaire. On peut penser qu’ils espéraient ainsi échapper à une partie des taxes dues à l’Amiral de France (qui quelques années plus tard en 1681 devinrent le « dixième de l’Amiral, soit 10% de la valeur des profits générés par la prise).
Voici ce qui est écrit :
Ont été vendu à vil prix et amoindri de moitié de leur
juste valeur à qui étant nécessaire de pourvoir
Jean Duhulquo et Elie Chaboisseau seront emprisonnés dans la prison royale de La Rochelle .
Jean de Hulgo chirurgien prisonnier en la prison Royale
de cette ville du lieu de Rougne (Urrugne) proche de Saint
Jean de lus Répondant à la signification qui lui a été
faite à la requête de monsieur le procureur du Roy de
L’Admirauté de cette ville de l’arrêt du conseil d’état
du vingtième janvier dernier
Leurs interrogatoires seront consignés par écrit, c’est ainsi que les détails de cette affaire apparaissent.
Jean de Hulquo du lieu de Rougne (Urrugne) proche de St Jean de Luz
cy devant chirurgien dans le navire nommé La Chaudière
a sel , agé de vingt deux ans environ , ------------
Par luy fait de nous dire vérité
Il s’agit donc du Jean Duhulquo né à Urrugne le 19 novembre 1651 (image 67, en bas à droite).Il sera référencé par la suite Jean Duhulquo (I).
Le nom de son frère apparaît dans certains actes de cette procédure. Il s’agit aussi d’un Jean Duhulquo (II), probablement celui qui est né le 6 septembre 1654 (image 93 antépénultième acte), et qui a dû venir pour aider son aîné à se sortir de ce mauvais pas.
En cet endroit a comparu le dit Duhulquo , par Jean Duhulquo son frère…
Finalement le vaisseau et les marchandises seront vendus lors de trois séances d’enchères successives. Certains enchérisseurs contestant par la suite la qualité des bois qu’ils ont achetés…. L’affaire durera près de 6 mois.
Elle sera résumée dans l’acte final du 10 mai 1674 en la chambre criminelle de la Sénéchaussée de La Rochelle, acte non trouvé mais cité dans « les Mélanges de Colbert », recueil des correspondances reçues par Colbert de 1661 à 1677 2, archivé à la Bibliothèque Nationale de France.
Jean Duhulquo sera condamné avec les autres marchands et bourgeois impliqués dans cette vente frauduleuse à rembourser
« au profit de sa Maté la somme de trente trois mil
livres d’argent monaye qui estait dans le vaisseau
nommé l’amitié de Corossol …….. »
« fait et donné en la chambre criminelle de la
sénéchaussée et siège présidial de la ville
et gouvernement de la Rochelle le dixième
jour du mois de may mil six cent soixante
quatorze. »
Ils sont aussi condamnés avec Gilles Orry et Jean Baptiste (qui ont disparu dans la nature, ils n’avaient pas été emprisonnés), à payer diverses amendes : 12 livres d’amende pour le Roy, 100 livres d’aumône pour les pauvres et 300 livres de frais de justice.
Outre l’arrêt du conseil d’état du 20 janvier 1674 relatif à la prise de l’Amitié de Corossol et la déclarant de bonne prise, il existe aussi un autre arrêt du conseil d’état en date du 23 février 1674 demandant le jugement des « voleurs » car les marchandises ont été « vendues à vil prix et à moins de moitié de leur juste valeur ».Un double de cet acte se trouve dans les arrêts de la Marine pour l’année 1674 aux Archives Nationales (MAR A-1-14) .
Dans un autre acte, devant le parquet royal de l’Amirauté de Guyenne, le 15 septembre 1673, Etienne Dhariete décrit les faits de la même manière ( AD33 6B992) .
Tous ces actes devant le conseil d’Etat, dans la correspondance de Colbert et dans les arrêts de la Marine, ainsi que l’épais dossier du jugement prouvent l’importance de cette affaire.